En 2021-2022, doctorante en dernière année de thèse de philosophie au laboratoire Lettres Idées Savoirs à l’UPEC, Zélie Wüthrich a participé à l’appel à candidatures de « Sciences en Bulles », bande dessinée originale de vulgarisation scientifique de travaux de recherche de doctorantes et doctorants. Le sujet de thèse de la jeune chercheuse traitant du débat citoyen sur la question du changement climatique, a été retenu, avec 10 autres sujets, pour participer à l’édition 2022 de « Sciences en bulles » sur le thème « Réveil climatique, l’heure de l’action a sonné ! »
Zélie Wüthrich nous raconte son expérience et son parcours.

ComUE Paris-Est : Connaissiez-vous le dispositif « Sciences en bulles » et quelles ont été vos motivations pour candidater à l’appel à candidatures ?

Zélie Wüthrich : Je ne connaissais pas le dispositif « Sciences en bulles » mais je connais bien la Fête de la Science avec les animations régulièrement organisées par les universités et les communes chaque année.
Quand j’ai reçu l’appel à candidatures, je finalisais un travail d’enquête sur le terrain qui a duré les 2 premières années de ma thèse. J’ai réalisé ce travail d’enquête principalement à distance à cause de la crise sanitaire. Ce travail consistait en la récolte de données, en la rédaction et la publication d’articles et ça me manquait un peu de faire quelque chose de concret d’autant plus que j’allais entrer dans la période de rédaction de ma thèse. Je me suis dit « Ça pourrait être une bonne façon de donner une autre dimension à la rédaction ». De plus, le thème de cette édition, l’environnement, c’est un sujet auquel je m’intéresse depuis le début de mon parcours.

ComUE Paris-Est : Qu’est-ce qui vous a attiré dans cet exercice ?

Z. W. : J’ai été attirée par le caractère « médiation scientifique » du projet. Dans le cadre de ma thèse, j’ai eu l’occasion de co-animer un séminaire. J’ai donc déjà abordé la notion de transmission et de communication de la recherche à un public diversifié. J’ai également participé à des comités éditoriaux ou rédigé des articles pour des revues scientifiques. La démarche ici était d’aborder la recherche, qui s’inscrit dans une problématique contemporaine, à travers un message destiné à un large public. Cet appel à candidatures était donc une occasion de poursuivre ces actions mais de façon plus personnelle, et spécifiquement sur mon sujet de thèse.
Et puis l’exercice est novateur, j’ai toujours été fan de BD. On est dans une certaine continuité du développement de la vulgarisation scientifique sur différents réseaux comme YouTube. C’est générationnel d’être sensible à ce genre de chose car les jeunes ont la chance d’avoir accès à ces supports assez tôt. C’était donc une bonne opportunité d’y participer. Le travail en collaboration avec l’artiste et les éditeurs était très motivant. Ma participation à cet appel à candidatures représentait aussi l’opportunité de rencontrer d’autres doctorants issus de domaines différents mais qui travaillent sur des thématiques similaires et de pouvoir en discuter.

ComUE Paris-Est : Pouvez-vous nous expliquer le processus de création de votre bande dessinée ?

Z. W. : Compte tenu des délais, l’organisation était très bien cadrée. J’ai découvert une méthode de travail différente de celle d’une publication scientifique.
La 1ère étape consistait en la rédaction d’un résumé de mes travaux de recherche qui servirait de base pour la mise en image. Ce résumé devait aborder de manière précise et concrète ma problématique et ma méthode de travail. J’ai également transmis des visuels significatifs de mobilisations sur le thème du climat auxquelles j’ai assisté pendant mes activités de terrain. À partir de ces éléments, l’éditrice a transmis une retranscription à l’illustratrice qui a travaillé la scénarisation et la mise en page. Entre ce qu’on essaie de résumer et ce qui parait important de mettre en valeur sur la planche finale, ce n’est pas vraiment évident mais c’était intéressant à réaliser.

J’ai pu faire un retour sur le story board soumis par l’illustratrice et formulé des suggestions sur la 1ère version proposée. J’ai souhaité recentrer le propos sur l’élément majeur de mon sujet de thèse - la démocratie et sa dimension politique dans le contexte du changement climatique - et moins évoquer le constat du changement climatique en lui-même puisqu’il s’agit du fil conducteur de cette édition de « Sciences en bulles ».

Par ailleurs, effectuant une thèse en philosophie politique, mes travaux de recherche traitent des assemblées citoyennes. J’ai ainsi pu rencontrer des profils différents pendant mes enquêtes de terrain. J’avais à cœur de voir cette variété dans les planches. L’illustratrice, qui était plutôt d’accord avec moi, l’a traduit au travers des personnages qui représentent tant que possible la diversité de la population française.

ComUE Paris-Est : Combien de temps avez-vous consacré à la préparation de votre planche, sachant que vous étiez en fin de thèse ?

Z. W. : Ma participation à la BD ne m’a pas demandé énormément de temps. Au lancement de la campagne, une fois les sujets sélectionnés pour le projet, nous avons dû transmettre en une semaine nos éléments (résumé, visuels, etc.) à l’éditeur. Une rencontre de 2 jours entre doctorantes, doctorants et l’équipe de « Sciences en bulles » a été organisée pendant laquelle l’objectif de la publication et la méthode de travail nous ont été présentés. Une fois la première phase de rendu des résumés et de validation de la retranscription passée, le processus de mise en dessin/illustration a commencé. Nous étions moins sollicités par l’éditrice pendant cette deuxième phase. Nos échanges ont été plus ponctuels.

ComUE Paris-Est : Une fois la bande dessinée éditée, avez-vous participé à sa promotion ? Notamment à l’occasion de la Fête de la Science à la Cité des Sciences et de l’Industrie les 8 et 9 octobre 2022 ?

Z. W. : Ne vivant pas en région parisienne, j’ai peu l’occasion de venir sur Paris. Mais il se trouve que j’arrivais précisément ce jour-là, c’était donc l’occasion d’y participer. La 1ère journée était réservée aux scolaires. Beaucoup de classes de jeunes collégiens sont passées sur le stand où les doctorantes et doctorants participants à la BD se sont relayés pour accueillir le public et présenter le projet.
Les plus jeunes posaient essentiellement des questions sur les sciences, le rapport à la nature - des sujets qui sont accessibles assez tôt - et sur la création d’une BD : faire du dessin et raconter des histoires.

Les sujets de discussion avec les lycéens concernaient plutôt les missions d’éco-délégués dans les établissements scolaires, les nouvelles directives et les nouveaux enjeux touchant à l’environnement. On a pu justement échanger sur le côté démocratique, la représentation des élèves au niveau de l’équipe pédagogique sur les questions de l’environnement. J’ai pu les interroger sur la façon dont ils appréhendaient cette mission, le message qu’ils souhaitent porter à travers ces questions et si typiquement le débat citoyen est un sujet qui leur parle. Certains étaient curieux et très intéressés par les sciences, on les sentait vraiment dans leur élément, et je pense que c’était une bonne façon de rendre ce sujet abordable et de présenter de manière concrète les actions développées dans ce cadre. Cela devient accessible quand on a l’occasion d’en discuter avec ce public.
Enfin, certains m’ont posé des questions sur la convention citoyenne, mon sujet de thèse, le fameux terrain que j’ai réalisé.

ComUE Paris-Est : Le format vous a-t-il paru adapté à tout type de sujet de thèse ?

Z. W. : J’ai constaté que les éditions précédentes étaient principalement axées sur des sujets de thèses la thématique des sciences dites « dures ». Pour l’édition 2022, les doctorantes et doctorants participants préparent des thèses en sciences physiques, en biologie mais il y a quelques sujets en économie. Je crois que nous sommes deux doctorantes participantes en thèse en sciences humaines et sociales : une en littérature et la mienne en philosophie bien que j’y aborde la thématique de la sociologie politique, un sujet qui me tient à cœur.
L’exercice de vulgarisation oblige à mettre en évidence des éléments pratiques et concrets, ce qui est important dans ma propre démarche de recherche. Il conduit à traduire le sujet de recherche en question de société. C’est d’autant plus intéressant en sciences humaines parce que parfois, le doctorant aborde de manière plus complexe un sujet qui peut être considéré comme « banal » et qui concerne tout le monde. Alors que dans le domaine de la physique par exemple, avec des manipulations et des expériences, il y a un côté exact et très concret.
Je pense que la bande dessinée est un bon medium pour la vulgarisation scientifique car c’est un support accessible à tous, qui sort du cours magistral… La vidéo est déjà bien utilisée mais souvent cela se rapproche de la notion de cours assez scolaires. Je pense que les sciences humaines gagneraient à être davantage abordées via ces opérations et ces supports de médiation scientifique.

ComUE Paris-Est : Y avez-vous vu des avantages ou des limites ?

Z. W. : Dans la vulgarisation des sciences dures, de manière générale, il y a le côté rassurant dans le fait que l’on parle de choses objectives qui ne feront pas forcément débat car ce sont des spécialistes qui en parlent et ça touche à une réalité… on a davantage l’impression qu’il n’y aurait pas d’enjeu émotionnel, d’attachement…
Par contre, quand on parle de philosophie, de sociologie, de littérature, de sciences humaines, on aborde des questions où on apporte, même dans une démarche objective, un certain point de vue sur des sujets qui impliquent des valeurs, des débats politiques, éventuellement des conflits. Ça permet de transmettre ce côté scientifique sur des sujets controversés et de mettre en avant la principale caractéristique d’une recherche : l’esprit critique, l’analyse du raisonnement, de l’argumentation, etc. 
C’est l’avantage de ce format-là qui se prête bien à l’exercice de la médiation : on montre que l’on peut avoir des débats. Je trouve que c’est important dans une société, où on se réfugie beaucoup derrière la neutralité scientifique, qu’on peut avoir des débats. Et si c’est à travers ce type de publication, c’est encore mieux.

ComUE Paris-Est : Qu’avez-vous le plus apprécié dans cette expérience ? Conseilleriez-vous à d’autres doctorants d’y participer ?

Z. W. : J’ai apprécié le processus éditorial dans le milieu de la BD. Ça m’a mené à une réflexion, moins scientifique, de ce que je voulais transmettre et la forme que je voulais que cela prenne. Cette expérience m’a permis de sortir de mon quotidien de doctorante et est valorisante dans mon parcours doctoral.
J’ai aimé aussi la rencontre avec les autres doctorants, la découverte des similitudes entre nos sujets de thèse. C’est enrichissant d’avoir un florilège de perspectives très différentes sur un même sujet.
La rencontre avec des scolaires avec qui discuter était aussi très chouette. Ça rend concret et tangible le sujet, c’est le côté satisfaisant. Ça crée un support de discussion en fait. La BD n’est pas qu’un produit fini simplement destiné à être diffusé. J’ai pu transmettre un message, c’est assez gratifiant. D’ailleurs, c’est ce que j’ai préféré même si je n’ai pas vocation à enseigner à l’école !

ComUE Paris-Est : Quelle suite ? pour la prochaine édition ?

Z. W. : J’arrive en fin de thèse, j’étais prise par la rédaction du manuscrit. Comme je ne me destine pas à une carrière dans la recherche, je suis actuellement une formation pour me réorienter vers une activité plus concrète, manuelle.
Par contre, le travail de thèse et ces 8 années passées à l’université sont vraiment valorisables, et notamment cette expérience dans l’édition.


 

 Zélie Wüthrich, a réalisé sa thèse en philosophie/politique intitulée « Les incertitudes des modèles climatiques et leur impact sur la mise en œuvre des politiques environnementale » au laboratoire Lettres Idées Savoirs (LIS) de l’UPEC sous la direction de Patrick Savidan.

 

 

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